L'unité du genre humain
Race et histoire à la Renaissance
Comment la Renaissance, si éprise d’unité, pour ne pas dire obsédée par la quête de l’unité, est-elle néanmoins parvenue à penser la diversité humaine ? Au début de l’ère moderne, plusieurs facteurs ont contribué à l’émergence d’une nouvelle anthropologie. Les grandes navigations entraînèrent un élargissement spectaculaire de la vision du monde et un renouvellement des savoirs géographiques. L’invention du Sauvage (ou sa réinvention) rendait nécessaire de penser à nouveaux frais le problème de la diversité des cultures, de leur origine commune, et de leurs contacts passés et à venir. La confrontation des Européens avec une altérité radicale, mais aussi la possibilité ouverte du métissage, posèrent de manière nouvelle le problème de l’unité du genre humain. Les débats qui s’engagèrent alors, en matière de missiologie notamment, ont opposé les tenants des divers types de polygénisme aux partisans du monogénisme — la doctrine orthodoxe en la matière. La construction des idéologies coloniales modernes mobilisait aussi bien l’héritage biblique et patristique que les savoirs antiques. Parallèlement se trouvaient jetées les fondations d’un nouveau savoir historique, soucieux de vérifier et de hiérarchiser ses sources, et de confronter les savoirs livresques aux données de l’expérience. Le renouveau de l’histoire nationale permettait de mieux prendre en compte les témoignages des antiquaires ou des chroniqueurs, alors que l’histoire universelle encore balbutiante tentait de penser l’évolution parallèle des civilisations, leur décadence, leur progrès ou leur évolution cyclique. Dans l’espace aussi bien que dans le temps, la prise en compte scientifique du réel voisinait volontiers avec l’utopie et le mythe, la pensée religieuse faisait bon ménage avec la rationalité économique moderne. L’Âge classique et les Lumières sauront faire usage des matériaux et des problèmes légués par la Renaissance, en les complétant et en les transformant pour leur compte, dans des sphères aussi diverses que le droit naturel, la comparaison et la critique des religions, la constitution d’une anthropologie d’intention scientifique. Les positions et les polémiques étudiées dans le présent volume joueront donc à long terme un rôle constitutif dans la mise en place de la modernité.
Présentation Ouverture, par Frank Lestringant
III. L’humanité et ses limites |
IV. L’entreprise missionnaire : prise en compte ou réduction de l’altérité ? Jean-Claude Laborie, « La seconde scholastique de Salamanque et l’unité du genre humain » V. Métissages et représentations Carmen Bernand, « La diversité du genre humain dans l’empire ibérique : l’exemple des spectacles musicaux » Dominique de Courcelles, « Diversité du réel et unité humaine : 1540, à Séville, un “best-seller” d’encre et de papier, et en Nouvelle Espagne, un tableau oublié de plumes » VI. L’énigme des origines : peuplemen(s), généalogie(s) et géographie(s) Adeline Desbois-Ientile, « Constructions généalogiques et unité du genre humain : l’ancêtre troyen dans la littérature de cour du début du XVIe siècle » |
Frank Lestringant est professeur de littérature de la Renaissance à l’université Paris-Sorbonne. Il est docteur honoris causa de l’Université de Genève (2015). Spécialiste des voyages au Nouveau Monde au XVIe siècle et de la littérature des guerres de Religion, il a publié une trentaine de...
Pierre-François Moreau est professeur de philosophie à l’École normale supérieure de Lyon, et membre de l’Institut d’histoire de la pensée classique (UMR 5037). Ses travaux portent sur l’Âge classique et tout particulièrement sur Spinoza, mais aussi sur les matérialismes antique et moderne, sur...
Alexandre Tarrête est maître de conférences en littérature à Sorbonne Université. Ses enseignements et travaux de recherche portent sur la littérature et la philosophie à la Renaissance, sur les moralistes du XVIe siècle (La Boétie, Montaigne, Du Vair, Lancre, Charron), sur l’éloquence (Du Vair...